Député de la 2ème circonscription du Jura
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M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.


Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le président, madame la rapporteure, mes chers collègues, vous nous demandez de faire preuve d’humilité au regard de la loi Fourcade, que vous considérez comme quasi identique à cette proposition de loi.

Je voudrais cependant rappeler, devant la représentation nationale que, lors de la discussion de la loi Fourcade de 2011, cette problématique, qui est une demande récurrente de la Mutualité française, avait été abordée. Le dispositif adopté prévoyait d’autoriser ces modulations uniquement à titre expérimental, pour trois ans et de manière très encadrée.

J’ai, comme vous, combattu ce texte qui prévoit que les conventionnements doivent être établis sur la base de réseaux dit « ouverts », dans lesquels chaque professionnel, à la condition d’en faire la demande et de répondre aux conditions fixées par le gestionnaire du réseau, peut adhérer.

Je vais justement en venir à ce recours.

Un décret devait fixer les règles de tout conventionnement souscrit entre, d’une part, les professionnels de santé et, d’autre part, les mutuelles, institutions de prévoyance et complémentaires santé, notamment pour préserver la qualité et la traçabilité des prestations.

L’Autorité de la concurrence devait rendre tous les trois ans un rapport sur les réseaux de soins aux commissions des affaires sociales des deux chambres du Parlement. L’article en question a été censuré car le Conseil constitutionnel, dans sa grande sagesse, a considéré qu’il s’agissait d’un cavalier. Je rappelle que la saisine avait été effectuée par l’opposition de l’époque, c’est-à-dire votre majorité d’aujourd’hui.

Vous comprendrez, madame la ministre, compte tenu de ces éléments liminaires, que je m’étonne que vous justifiiez ce texte, objet de notre débat, par un parallèle avec la loi Fourcade, que nous avons, vous comme moi, dénoncée et combattue.

En outre, je souhaite poser une question essentielle : les législateurs que nous sommes ont-ils pour mission, comme je l’ai tant entendu ce soir, de sécuriser les mutuelles ? C’est là une vraie question. Vous introduisez à travers cette proposition de loi une différence de remboursement et donc une différence entre les prestations. Cela conduit inévitablement à une rupture d’égalité devant l’accès aux soins pour la population française.

Je vois deux dangers immédiats – ce ne sont sûrement pas les seuls, mais ce sont selon moi les principaux – si ce texte était voté en l’état.

Il y a d’abord un danger relatif à notre politique de santé. On va ni plus ni moins donner aux mutuelles un pouvoir sur le choix des produits comme des praticiens, et cela sur une base tarifaire, non sur un critère de qualité.

Tel est bien en effet le fond du débat. Nous admettons que le champ de compétence des mutuelles doit rester dans le domaine de la couverture du risque et non dans le champ médical. Pourtant, ce texte va in fine leur accorder une mainmise sur le choix des produits, indépendamment de toute donnée scientifique et de tout contrôle, notamment de la Haute autorité de santé. Ce faisant, on va clairement à l’encontre de notre système de soins, lequel est fondé sur l’équité, la qualité et le libre choix du patient.

Vos parlez, madame la ministre, de l’équilibre de notre système de soins. Vous y tenez particulièrement, comme vous le répétez régulièrement. Or cette proposition de loi ne répond en rien à ce critère. À brève échéance, la qualité des soins sera remise en cause ; le maillage territorial des professionnels de santé, déjà déficient, va s’accentuer ; le devenir de plusieurs de nos savoir-faire emblématiques, en particulier dans le domaine des lunettes, sera en péril.

J’en viens au second danger, à savoir la menace que ce texte fait peser sur notre modèle économique. Ce dispositif que vous tentez de mettre en place a été inventé aux États-Unis dans les années 1980.
Dans les années 1980, les États-Unis ont inventé les réseaux fermés.
Le bilan de cette pratique fut sans appel. Elle aboutit à la création de monopoles, avec tout ce que cela implique : clientèle captive et déresponsabilisation des professionnels de santé. Ces pratiques n’existent plus aujourd’hui aux États-Unis, et pour cause ! Il s’agit de défendre la concurrence et d’assurer ainsi la liberté de choix.

La procédure de mise sur le marché des dispositifs médicaux, parmi lesquels figure l’optique, ne permet de réels contrôles qu’a posteriori. Le danger est que les mutuelles négocient au niveau national pour l’ensemble de leurs adhérents avec des entreprises implantées à l’étranger, y compris hors d’Europe, au risque de favoriser l’importation de dispositifs low cost. Si c’est cela que vous voulez, vous m’en voyez navrée.

Les entreprises nationales qui fabriquent des dispositifs médicaux et investissent fortement, notamment dans la recherche et développement, risquent de voir leurs produits copiés par des concurrents étrangers exportant leur production low cost dans notre pays. Parallèlement, votre gouvernement sanctuarise les crédits d’impôts pour la recherche et développement et met en œuvre un dispositif visant à favoriser la compétitivité de nos entreprises. Cela n’a pas de sens ; cela n’est pas logique.

Outre le fait que vous risquez de créer une médecine au rabais gérée par des mutuelles, se pose la question des frais de gestion pharaoniques de ces organismes, qui dépensent finalement beaucoup plus en frais de publicité qu’en remboursements de leurs adhérents.

En effet, selon un récent rapport de l’OCDE, intitulé Systèmes de santé. Efficacité et politiques, certaines mutuelles arrivent à 18 %, voire 20 % de frais de gestion.

À titre de comparaison, la moyenne des frais de gestion des régimes obligatoires et complémentaires en France se situe à 7 %, contre 3 % pour le groupe des pays de l’OCDE ayant des prestations comparables.
Quand les assurances font la même chose, cela ne vous gêne pas !

La Cour des comptes, quant à elle, estime que le coût de gestion des complémentaires santés varie de 20 % à 25 %. Ainsi, sur 4 milliards d’euros de lunettes vendues annuellement, seuls 50 %, à savoir 2 milliards d’euros, font l’objet d’un remboursement. Si l’on prend en compte 25 % de coûts de gestion, ce sont 500 millions d’euros que les mutuelles consacrent à leur organisation. Je vous laisse juger ces chiffres !

Au-delà de ces problèmes, il convient de dénoncer le manque de transparence des contrats proposés par les mutuelles. En effet, si la concurrence marche mal, c’est en partie du fait de l’opacité des contrats. Faites l’exercice de comparer différents contrats ; vous admettrez très vite qu’il est impossible de différencier les clauses et de définir précisément les remboursements, et cela d’autant plus si l’on rajoute le plafond mensuel de sécurité sociale.

Il est nécessaire de créer une vraie transparence, soit en imposant des seuils, soit en faisant en sorte que les tarifs soient fixés par une autorité indépendante. Le fait de solliciter chaque année un bilan des réseaux de soins mentionnant le détail des conventions et le reste à charge n’est pas une garantie ; cela n’assurera en rien la transparence que ce texte souhaite mettre en avant.

Ce texte ne répond en rien aux préoccupations de nos concitoyens pour l’accès au soin ; il va entraîner un transfert des emplois industriels – qu’il s’agisse des prothésistes, des opticiens ou des lunetiers, en particulier dans le Jura – vers des emplois de service dans les mutuelles. Si c’est cela que vous voulez, à savoir détruire de l’emploi industriel pour créer de l’emploi dans les mutuelles, je crains que vous n’y réussissiez avec ce texte. Nous avons l’obligation de nous rassembler pour la défense de l’emploi.

Je vous indique que les derniers chiffres du chômage dans un département qui m’est cher, le Jura, font état d’une progression de 2,5 % sur le dernier mois. C’est catastrophique. Ne détruisez pas encore plus l’emploi industriel dans nos territoires ruraux. C’est pour moi un grand sujet d’inquiétude ; je ne comprends pas que vous preniez le risque, avec ce texte, d’aggraver une situation déjà difficile en accordant des avantages à un secteur que vous voulez favoriser, et cela au détriment de l’emploi et de la santé.

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